Manuel pour un tapis volant
2023

Ida Soulard

Flying Carpet est un livre bibliothèque, un patchwork mental, un palais de mémoire, et un véhicule permettant un voyage aérien dans les formes. L’expression « tapis volant », avec ses connotations multiples issues d’un imaginaire oriental mythique, est envisagée comme une méthode de travail, à la manière de l’écrivain Michel Leiris. Cette méthode consiste à déployer un répertoire de formes et de motifs et à les agencer, mimant un véhicule à la mécanique de précision.

Un tapis volant permet logiquement, par sa lévitation, de voir d’en haut. Celui d’Anna Meschiari, en revanche, permet plutôt une exploration horizontale et de glisser d’une forme à l’autre. Au cœur du tapis, un ou plusieurs motifs centraux ordonnent la composition. Ces motifs, Anna Meschiari les a empruntés au riche centre de documentation de Carré d’Art – Musée d’art contemporain de Nîmes. Elle les sélectionne, puis recadre, zoome, détoure et les agence d’abord dans un livre, dont elle brise la linéarité de la navigation par des jeux subtils d’échos et de transparence des pages. Puis, rendant l’apparence du voyage plus manifeste encore, elle les présente sous la forme d’une exposition spatialisée de feuilles libres imprimées. En chacun de ces objets tient une possible configuration d’un monde momentanément arrêté. Dans sa cosmogonie modulaire, on retrouve des partitions pédagogiques de Paul Klee, des éléments de la méthode de l’emblématique commissaire d’exposition Harald Szeeman, ou des gros plans sur les matériaux fibrés de l’artiste Rosemarie Trockel. Trames, grilles, codes et partitions en sont des motifs récurrents. Chaque élément devient un module d’un nouveau paysage tramé à explorer.

La méthode d’Anna Meschiari pour la confection de son tapis volant rappelle celle du patchwork, une technique consistant à assembler des morceaux de tissus colorés pour créer des motifs et des dessins. L’assemblage se fait par l’application d’une couture que l’on retrouve ici dans la présence des plis. L’histoire que racontent ces motifs est ici empruntée à l’histoire de l’art moderne et contemporaine. Mais Anna Meschiari vient opérer une torsion dans une histoire de l’art centrée sur la visualité en introduisant un récit parallèle des formes, qui inclue la tactilité, le plan pliable, des matières texturées, et différents systèmes de codes. Elle s’inscrit dans une histoire textile et ornementale longtemps marginalisée, une histoire de femmes, tactile, d’assemblages de formes préexistantes et d’emprunts. Mais c’est précisément cette plasticité, cette matérialité et cette histoire textile du regard que met en lumière Anna Meschiari au sein de Flying Carpet. Elle nous plonge, au cœur de la bibliothèque, dans une histoire à rebours, des livres modernes aux codex, premiers manuscrits reliés, et jusqu’aux volumens, papyrus enroulés de l’Égypte antique, si proches dans leur format des tapis anciens. Les formes y trouvent une profondeur, une épaisseur, une texture et une densité et s’agencent en une machine à penser et à contempler qui excède de loin la somme de ses parties. Cette mécanique de précision peut être démantelée et servir de manuel pour quiconque souhaiterait construire, avec ses éléments, son propre tapis volant.

Dressing, Stefania Meazza, 05/2021 (FR)
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Entretien avec Françoise-Aline Blain, 01/2018 (FR)
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Anna Meschiari, Atlas (update_reebot), Jérôme Dupeyrat, 09/2016 (FR)
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